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Post-modernes

DANTZIG TWIST AGAIN : D'HEUREUSES RÉÉDITIONS FONT RETROUVER LES GARÇONS DE MARQUIS DE SADE ET TAXI GIRL QUI DONNÈRENT TOUTE SA SUBSTANÇE À LA FRAÎÇHE MODERNITÉ DU ROÇK FRANÇAIS DES ANNÉES 80.

« Sur un écran géant, une goutte de sang »... « I killed the actor of this silent movie... » (Taxi Girl « Cherchez le Garçon »/ Marquis de Sade « Smiles »)

1989. Dernière année d'une décennie. Les 80's c'est bien fini. Même si on a pu douter à certains moments de la créavité musicale et de la fécondité générale de cette période, avec le recul, il faut bien admettre aujourd'hui que ce dixième de siècle aura été prolifique. Une fois la page tournée, sûr qu'elles vont nous manquer ces années batardes. Et surtout leur première moitié. Cassandre de la suite. Période charnière. Une époque qui reste baignée d'un romantisme désabusé et profondément européen. Des émotions mélodiques par opposition aux déchirements sonores produits sur la fin des seventies et aux bouillies micro-ondes-Top cinquantièmes de la fin des eighties.

Signe de nostalgie évidente, les rééditions sont légions dont font partie les disques des deux groupes français qui à mon sens résument le mieux cette décennie, ayant marqué son avènement et laissé présager de son évolution : Marquis de Sade (78-81) et Taxi Girl (79-85). Dans les deux cas une sensibilité écorchée, des textes à la personnalité affirmée, l'expression d'un malaise similaire. Dans les deux cas l'importance de l'image, travaillée par un manager stratège ou par la récupération médiatique.

Très différents musicalement, quant à la structure, à la notion de groupe mais aussi sur le fond, les destins des Rennais et des Parisiens semblent cependant se rejoindre. Leur succès n'est pas comparable en terme de ventes mais d'estime, les passions qu'ils ont provoquées sont durables. Dans les deux cas ils ont marqué l'éclosion d'un mythe et le syndrome naissant d'une perpétuelle relecture du temps.

Les acteurs ont mûri et du haut de leur stabilité enfin (à peu près) trouvée, ils réussissent à porter un regard lucide sur ces années grises et or. Souvenirs à la pelle...

frakture

Rennes, été 77. Franck Darcel et Christian Dargelos, respectivement guitariste et bassiste, montent Marquis de Sade. lls trouvent quelques mois plus tard leur chanteur, Philippe Pascal, qui en formera avec Franck le noyau dur. Jusqu'en 81 le groupe comptera une douzaine de formations différentes et la plupart des grands noms du rock rennais y ont un jour eu leur place, invités de marque ou membres actifs (cf le livre de Christophe Brault «10 ans de rock à Rennes »). Mais pour l'histoire, les « cinq européens en costumes électriques » comme ils se définissaient alors, resteront ceux du premier album, « Dantzig Twist », Franck Darcel, Philippe Pascal, Anzia, Thierry Alexandre et Eric Morinière...

Philippe Pascal : « La première formation de Marquis de Sade était selon les rares articles d'alors « sexiste et fière de l'être », sous profonde influence anglaise, très proche des Stranglers et même des Sex Pistols. Quand je suis arrivé dans le groupe nous reprenions «Substitute » (des Who) et « Under My Thumb » (des Stones) ! Il y a trois points essentiels dans l'histoire du groupe, trois points dont on n'a pratiquement jamais parlé : l'enregistrement du deuxième 45 t (projet non abouti), l'affirmation de la personnalité et le passage de Serge Papail, transfuge d'un autre groupe mythique rennais : Frakture.

La date clé c'est février 79, qui marque la fin d'une longue période de gestation. Après une évolution chaotique (dont l'unique témoignage reste « Air Tight Cell » / « Henry ») Marquis de Sade trouve enfin son identité. Jusqu'à présent le groupe avait évolué en aveugle, au coup par coup, au fur et à mesure des arrivées et des départs des musiciens. Un peu avant février 79 donc, s'ajoute au tandem central Darcel/Pascal un musicien à l'influence décisive, Serge Papail. Un personnage complexe qui oscille entre la violence brutale de son groupe Frakture, du punk hard core nihiliste, et des apparitions solitaires sous le nom de Serge, en Marlène Dietrich masculin, transfuge de cabaret chantant en allemand et en russe. C'est lui qui m'a conforté dans ma fascination naissante pour certains mouvements (artistiques je précise ! ! !) de l'Allemagne et de l'Autriche de l'entre-deux guerres. A cette époque nous travaillions sur les deux pôles du futur album : « Conrad Veidt » et « Who Said Why ? »

L'endroit où nous enregistrions, Brest, a aussi été déterminant. Il a agi comme un révélateur et a été un élément capital dans l'élaboration de l'identité de MDS. Brest, à mi-chemin entre Moscou et New York ! ! Le sentiment d'appartenir à cette Mittel Europa perdue et dont nous allions relancer l'idée, l'image mythique. Brest, enfin, c'est aussi le port, tout à la fois frontière ultime du Finistère (Finis terrare, bout du monde ou fin d'un monde, d'une époque) et porte ouverte sur le monde, le début du voyage. »

- Dans quel contexte arrivait Marquis de Sade ?
- « On était un peu la nouveauté à l'époque, en France s'entend. A l'époque les groupes faisaient du rock « traditionnel », du rock-pantin, du Led Zep ou du Stones sur lequel ils rajoutaient des paroles en français. Nous on tenait compte du fait qu'il y avait en Angleterre et en Amérique des groupes qui avaient bouleversé notre vie, Magazine, Television, Père Ubu... et on se situait dans ce prolongement, sans faire l'effort de chanter en francais. Actuel était alors un magazine très lu et déterminant sur les goûts de la jeunesse branchée du moment et l'image qu'ils ont donnée de nous, même si elle ne correspondait pas forcément à la réalité, est restée. »

- Aujourd'hui ce qui reste, plus que l'image d'un groupe de « jeunes gens modernes aimant leur maman » (selon le slogan de la fameuse couverture d'Actuel), c'est celle d'un groupe intelligent, bourré de références culturelles...
- « J'essayais seulement de traduire avec mes mots ce que je ressentais en voyant un tableau de Munch ou un film de Fritz Lang. Mais je crois que ce qui a dérouté les journalistes de l'époque c'est qu'il existe un groupe de rock qui dans ses interviews parle d'autres choses que de bagnoles et de gonzesses ! Et en fait on en a peut-être un peu trop rajouté là-dessus. Les références il faut les digérer, c'est trop facile de les citer dans les textes. De toutes manières on en a fait un peu trop autour de Marquis de Sade. On n'était pas un groupe intellectuel. On ne préméditait pas nos coups. C'était une époque éminemment lumineuse et tout ce qu'il fallait faire semblait évident.

Ce qui est incroyable c'est que ca ne correspondait à rien dans la réalité, on parlait d'un monde qu'on imaginait et on le décrivait tel qu'on le fantasmait. On a mis du temps à se remettre de cette image-là alors qu'elle correspondait uniquement au premier album. Le suivant marque lui un retour vers la réalité, on quittait le monde du rêve pour se préoccuper un peu de ce qui nous entourait. »

rue de siam

- Peux-tu expliquer l'évolution de M.D.S. par le biais de ses deux albums ?
- « Ce n'est pas spéculer a posteriori que d'affirmer que le graphisme des pochettes n'est pas innocent, ou plutôt fortuit. En fait pour chacun des deux albums la conception de l'emballage annonce et résume le contenu. «Dantzig Twist» (Dancing To East, affreux jeu de mot pour jeunes gens moroses !) est une suite de croquis griffonnés (échevelés même !), une succession de paysages intérieurs et imaginaires que M.D.S. portait en lui : musique incandescente d'un groupe qui brûle par les deux bouts, reflet d'un enregistrement sous pression et benzédrine.
Au rouge du premier album va succéder le rose de « Rue De Siam ». Le rose évoque la dilution et renvoie inconsciemment à la dissolution. On sent déjà les prémices du prochain Octobre et autre Marc Seberg (groupes qu'allaient fonder respectivement Franck et Philippe après la fin de Marquis de Sade. NDR).
Par opposition à « Dantzig Twist» c'est une porte ouverte sur le monde, sur l'avenir. C'est un peu comme un album de voyage, une série de photos, de cartes postales où un personnage, Marc, est placé dans des situations particulières, aux prises par exemple avec un organe politico-policier dans un certain pays de l'est : S.A.I.D. (Struggle Against Ideological Deviation). Il y a l'ébauche d'un court-métrage en trois parties sur les réflexions d'un soldat en tête-à-tête avec un pistolet mitrailleur (« lwo Jima Song »), la Camera Silens d'un rescapé terroriste de l'Allemagne de Baader (« Final Fog ») et pour terminer: « Rue De Siam », retour aux sources, la chambre d'hôtel où Marquis de Sade a commis son premier forfait. La boucle est bouclée. Pourquoi continuer. Split.
« Dan tzig Twist », de par son contenu est vraiment l'album d'un groupe. « Rue De Siam » lui, est déjà marqué par les divergences. Nous n'étions plus d'accord sur les orientations artistiques. Je voulais que l'album soit produit par Martin Hannet alors que les autres craquaient sur Roxy Music et voulaient faire de Marquis de Sade un groupe de « Funk blanc ». Pour dire à quel point à l'époque tout était déjà fini, je suis resté à Rennes pendant que le reste du groupe allait enregistrer la partie musicale à Paris et je suis parti ensuite tout seul à Londres avec le producteur pour faire les voix. Il était évident que l'album marquait la rupture.
Voilà, la dissolution ne reste pas comme une blessure, simplement la fin d'une période que j'ai l'impression d'a voir rêvée, pas tout à fait dans mon état normal. Si le chanteur me dit vaguement quelque chose, je ne le reconnais plus vraiment. »

destroy

II est délicat d'évoquer le passé tant avec Marquis de Sade qu'avec Taxi Girl. Le Philippe Pascal d'aujourd'hui est celui de Marc Seberg (un quatrième album à sortir à la rentrée). Côté T.G. l'actualité est pour chacun à la carrière solo (un album de Daniel Darc chez New Rose, un autre produit par Mirwais, « Juliette », même label). Pourtant aucun d'eux ne renie les jours d'antan.

Taxi-Girl a été le premier à faire un tube digne de ce nom avec, entre 80 et 82, plus de 300 000 exemplaires vendus du 45 t de « Cherchez Le Garçon ». La meilleure vente de Marquis de Sade elle, aura été l'album « Rue De Siam » (30 000). La principale différence c'est que Taxi Girl était drivé par un manager aux dents longues, Alexis, personnage clé qui rêvait de faire un groupe grand public de ces rockers purs et durs, dans l'âme comme dans le mode de vie. Résultat, à sincérité égale, mais à expression légèrement pervertie par l'impact business, l'oeuvre de Taxi Girl résiste un peu moins bien aux attaques du temps que celle de Marquis de Sade. Taxi Girl fûrent aussi les premiers à obtenir d'une maison de disques une avance faramineuse dans le but de monter leur propre label, Man'Kin. Un label qui leur permit outre de sortir «Seppuku », leur premier album, de faire découvrir les Civils, Bandolero et autres Clap Machine. Taxi Girl est passé de cinq membres (six même le temps d'une poignée de concerts au Gibus) à deux seulement à l'arrivée. Un bassiste éphémère, Stéphane E., un batteur disparu tragiquement, Pierre Wolfsohn, et trois personnalités qui sévissent encore aujourd'hui : Daniel Darc (chant), Laurent Sinclair (claviers) et Mirwais Stass (guitare). Groupe né au lycée, Taxi Girl brûlait d'une fureur de vivre Deanesque et de la pop sucrée de « Mannequin » au malaise morbide de « Seppuku » ils ont surfé sur les paradoxes. Perpétuellement entre succès et descente aux enfers.

Mirwais : « Grâce à Alexis nous avions une vitrine permanente avec le Rose Bonbon. On y répétait l'après-midi et on y a joué une trentaine de fois en un an. Malgré tout on a galéré pour trouver une maison de disques. A l'époque la politique était de signer tout ce qui ressemblait de près ou de loin à Téléphone et nous on était vraiment trop décalés ! Notre attitude elle-même était marginale, hors « clans », on ne correspondait à aucun label et on se faisait jeter de toutes les soirées un peu branchées où l'on célébrait le « nouveau rock francais », on avait une réputation de « fouteurs de merde », En plus scéniquement on n'a jamais été très bons ! Pourtant quelques journalistes se sont tout de suite intéressés à nous. Au bout d'un an et demi, alors qu'on était au bord du split, on a fini par trouver un petit deal, On a pu sortir « Mannequin » qui a été un énorme tube médiatique ».

Laurent : « Dans Taxi Girl il y a toujours eu un décalage entre l'image et la réalité, On nous associait à un mouvement néo-romantique. Actuel avait lancé la mode des « modernes » et on nous rangeait là-dedans. Le grand problème aussi c'est une série de photos qu'Alexis nous avait fait faire, habillés en costumes noirs et chemises rouges. Graphiquement c'était pas mal mais l'effet a été assez désastreux. On nous a traité de fachos alors que pour nous c'était juste une allusion à Kraftwerk. Ce qui n'a rien arrangé c'est un concert en première partie des Talking Heads où on avait mis derrière nous un tableau de Dali représentant Hitler avec les moustaches du peintre. Visuellement c'était très fort sauf qu'à vingt mètres on ne voyait plus les moustaches ! En fait nous étions surtout branchés par les détournements culturels. C'était plus situationniste qu'autre chose. On a fait beaucoup de mises au point mais ça n'a pas empêché l'amalgame. Ca nous a suivi tout le temps, sans arrêt, les gens n'écoutaient plus ce qu'on disait, ne lisaient même pas les paroles ».

M. : « Je pense qu'on a été le dernier groupe français non pas punk mais « destroy » au sens « autodestructeur ». Notre violence était provocatrice et intérieure. Avec Modem Guy et quelques autres nous étions les derniers héritiers d'une époque et, quelque part, c'est normal que le groupe ait mal fini. Personne après nous n'a ainsi délibérement détruit sa carrière. Parce que sans être prétentieux, on avait à la base toutes les données pour réussir : une musique relativement intéressante, mélodique, et suffisamment commerciale. Mais il y avait un décalage : Alexis, notre manager essayait à tout prix de nous coller une image saine et ça ne nous correspondait pas du tout. »

fiers

- Hormis la volonté autodestructrice, la fin de Taxi Girl est-elle à mettre sur le compte de dissensions humaines ou musicales ?
M. : « Tout au long de la carrière de Taxi Girl, Daniel a été complexé d'en faire partie vis à vis de ses amis punk. Je crois qu'il n'a jamais eu cbnscience que ce que faisait le groupe était mille fois plus violent que tous les trucs punk de l'époque réunis. La violence était intérieure et c'était beaucoup plus subtil. »
L. : « D'autre part Mirwais et moi nous n'avions pas les mêmes goûts musicaux et nous avions même parfois du mal à nous retrouver sur certains morceaux de Taxi Girl. Il y avait un antagonisme énorme. C'est normal, on était deux à composer la musique. Tant que Pierre était en vie il y avait un certain équilibre, il aimait les morceaux des deux et faisait la jonction entre nous. »
M. : « Quand Laurent est parti il y a eu une espèce de compétition parce qu'on imaginait qu'il allait sortir quelque chose très rapidement. Il faut dire que de nous tous il était le plus connu. C'est lui qui avait l'image la plus forte, qui était le plus charismatique. Alors on a essayé de s'affranchir par rapport à lui en sortant un disque le plus rapidement possible et on n'a pas trop eu le temps de réfléchir. »

La suite c'est le mini Lp « Quelqu'un Comme Toi », les maxis « Paris », « Sommes Jeunes, Sommes Fiers », et le dernier 45 « Aussi Belle Qu'une Balle » qui marquera la fin, l'autodestruction menée à terme.

- Qu'est-ce qui vous restera des années 80 ?
L. : « Une série d'essais, une sorte de laboratoire, bref une période bâtarde. »
M. : « Les mensonges, la récupération, la pub. »
L. : « L'explosion des médias dans un rôle où on ne les attendait pas forcément. »
M : « Un maximum de blé avec un minimum de scrupules, l'importance de l'image et du manager, les artistes kleenex. »

Propos recueillis par Emmanuelle DEBAUSSART Rééditions

- Marquis de Sade : « Dantzig Twist » et « Rue De Siam » (Barday).
- Taxi Girl : « Cherchez le Garcon », Seppuku » (Fan-Club/ New Rose)
A sortir une compjlatjon comprenant le mini-Lp « Quelqu'un Comme Toi » + des titres jnédits.

Livre

- « 10 Ans de Rock Rennais » par Christophe Brault (ATM 1, rue St-Héljer, BP 675, 35008 Rennes), 104 p, 100 F.

 

Copyright : Best, 1989