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Interview de Marquis de Sade
Les musiciens de Marquis de Sade ont eu la chance de ne pas naître à Paris. C’est à Rennes, une des plus grosses villes de Bretagne, que le groupe s’est formé en 1977. Sa composition a depuis ce moment changé plus d’une fois, reflet d’une « figure à géométrie variable », selon les propos du chanteur Philippe Pascal. Récemment, le groupe a fait parler de lui quand les cinq musiciens ont posé avec leurs mamans à la une du mensuel « Actuel », illustrant ainsi un article sur les « jeunes gens modernes ».

Marquis de Sade : du chaos naquit la vie…

Sur scène, Philippe donne un relief particulier aux morceaux par l’emploi de ses mains et de ses bras.
Durant l’interview, il emploie presque autant les mains mais il emploie aussi beaucoup la voix, en ce qu’il marque chaque idée d’une intonation particulière.

- J’aime beaucoup l’ambiance de la ville ici, avec le canal (nous étions au plan K), l’odeur de poisson, on a une ville comme ça près de chez nous, c’est Brest, il y a les mêmes couleurs, les mêmes atmosphères, les mêmes solitudes…

- C’est uniquement comme cela dans la partie de la ville où il y a le canal…
- L’endroit est très chouette, ça me rappelle les nouvelles de Jean Ray, ses histoires se passent dans le sud de l’Angleterre, j’aimais beaucoup ça quand j’étais jeune (ses yeux brillent) et j’ai l’impression de retrouver cette ambiance ici. Bon, soit.(Excité) Des questions, des questions ! ! !

- Votre « look kafkaïen », votre image de jeunes gens européens, ça vient d’où ?
- C’est quelque chose d’extrémiste pour s’affirmer dès le début. J’avais tellement peur qu’on nous classe comme français que j’ai voulu me démarquer de cela, c’est pour cela qu’on a pris des images fortes. Mais je me fous de l’Europe. Je voulais que les journalistes comprennent qu’on est un groupe à part entière, pas un groupe français, cocorico et tout ça !

- Et le côté jeunes gens modernes, n’est-ce pas un peu calculé ?
- C’est quoi, jeunes gens modernes ? Est-ce que j’ai un look straight ? J’ai horreur des gens straight. De toute façon, on ne s’est pas demandé « comment allons-nous nous habiller, quelle musique allons-nous faire ? ». L’image s’est imposée progressivement. La démarche de MdS est chaotique. On va sans doute se décrisper un petit peu maintenant, mais on avait envie de faire un album anti-fun. En ce moment, les gens ne pensent qu’à sourire, j’ai horreur de cette fuite qu’est la recherche du plaisir. Quant à toutes les étiquettes expressionnistes, ce sont les journalistes qui nous les ont foutues : MdS n’est pas un groupe flash-back, une sorte de retour vers les années 30. J’ai simplement présenté aux journalistes des cartes avec des articles d’expressionnistes, des trucs qui me touchaient beaucoup, dans lesquels je me retrouvais. C’étaient des cartes de visites, des gimmicks presque. Jusqu’à présent, personne n’a cherché la réalité qui se trouvait derrière. (Quittant le ton pathétique) Encore, encore, d’autres, je suis très volubile, ce soir ! ! !

- Le groupe a-t-il vraiment une morale straight, quasi-sceptique ?
- Chacun dans le groupe a sa propre morale. Moi, je crois à une certaine discipline de vie, mais je ne vais pas imposer ça aux autres. Moi, j’ai besoin de travail, j’ai besoin de me forcer à faire certaines choses ; beaucoup de gens croient que travail et discipline sont synonymes de fascisme. Ca n’a rien à voir. Je n’ai pas envie de me laisser aller. J’ai envie d’être fort, de me dominer.

- Tu as connu la génération de 68 ! ! ?
- J’étais encore jeune. J’avais douze ans. Mais mon père était fort pris par le courant ; c’est lui le premier qui a acheté Actuel, c’était un numéro sur les communautés. Mais j’ai horreur des illusions. Il faut être conscient. En mai 68, on ne l’était pas. Je n’aime pas le côté fête qu’il y avait dans mai 68 : tous heureux d’être ensemble allait résoudre tous les petits problèmes ; je crois qu’on est toujours tout seul, pour résoudre ses problèmes. D’ailleurs, dans MdS, on a des relations uniquement professionnelles : on se voit jamais que dans le local de répétition, ou quand on tourne ensemble. On est 5 bonhommes qui ont du travail à faire ensemble. Il n’y a pas une bande de joyeux copains. Mais chacun a besoin des autres pour que MdS existe.

- Je trouve que ta morale du travail est un peu extrémiste. N’attaches-tu aucune importance au plaisir, au sens con du terme ?
- Le travail, c’est mon plaisir. J’aime bien de me dépasser un peu.

(On parle de la joie et de la tristesse. MdS n’a rien d’un groupe triste. Le groupe veut s’orienter aussi vers des trucs plus dansants. MdS est un groupe simple, sans message, sans choses importantes à dire.)
- Notre démarche n’a rien de très réfléchi (Mystérieux) Elle est très chaotique, comme ça. D’un jour à l’autre ça peut changer. Il y a tellement de groupes qui se préfabriquent une image et s’enferme là-dedans, des gens prisonniers de leur image, de leur petite musique, de leurs petits problèmes. Moi, ça m’emmerde. Mais je crois beaucoup au charisme de John Lydon, parce que lui a un certain pouvoir sur les gens ; mais ses disques sont inutiles, ce sont des gadgets. Et puis, il est très élitiste et ça j’en ai horreur. Moi, je voudrais le public de Téléphone, un public le plus large possible. Je ne veux pas travailler avec un petit public de gens qui me ressemblent, finalement qui me renvoient mon image. J’ai horreur de la masturbation.

(On parle de Téléphone, mais aussi de la nouvelle scène française. On envisage leur récupération éventuelle et celle de MdS)
- On ne veut pas durer plus de deux ans !

- Pourquoi précisément deux ans ?
- A ce moment, mon intérêt pour la musique sera sans doute éteint. Je ne suis pas très stable. Je veux tout essayer. Mais je ne veux pas être un touche-à-tout. Je veux faire à fond ce que je fais. De toute façon, je me rends compte que le public a une capacité rapide d’absorption de la nouveauté.
François Jongen.

Copyright : En attendant, 1980