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 Migrennes n°3, mai 1982

Migrennes

(photo : Joseph-Marie Hulewitcz)


Migrennes : Pourquoi Octobre ? Pour le mois ou pour la révolution ?
Frank Darcel : Pour le mois, sauf que si la révolution est arrivée au mois d'octobre, ce n'est peut-être pas un hasard. J'ai l'impression que c'est un mois où peuvent se canaliser pas mal de pressions sous-jacentes, bien pour ce genre d'explosions. C'est à la fin de l'été et on ressent les choses d'une manière spéciale. Chaque mois a sa spécificité et en octobre peuvent s'exprimer pas mal de mouvements collectifs, on peut y ressentir plus facilement des choses en commun. Il y a une chanson dans l'album qui parle de ça, White days et qui a trait à l'atmosphère que moi, je ressens en octobre. C'est peut-être le texte le plus important du disque.

[...]

M : Tu n'as jamais été punk ?
FD : Mais si...mais punk à Rennes, à l'époque où ça a démarré, ça ne voulait rien dire, en dehors de Rennes, c'était super en plus ! De la rigolade ! On fréquentait le Tea Shop sur les quais, en bas du Rialto, une boutique où il y avait un genre de mélange pas possible, avec de la bouffe. C'était en 77 et Rennes a été branché relativement tôt par rapport au reste de la France et avec un tel décalage ! En fait c'est de là qu'est parti Marquis de Sade, sans ça, il n'y aurait rien eu ! On s'est bien éclaté tout de même. On faisait la première partie de groupe anglais en niquant les mecs qui jouaient de la guitare depuis dix ans et qui nous regardaient comme les derniers. On a été une bonne purge.

M : Tout le monde à Rennes a l'air de sortir de cette époque-là ?
FD : Ouais. Il y a vraiment eu une rencontre. Parce qu'avant le mouvement punk, il y avait déjà une animation avec des gens comme Pierre Fablet, la Croix Herpin, qui étaient quand même assez ouverts, bien allumés. La première fois que j'ai vu Pierre Fablet, il jouait de l'aspirateur en coinçant un mélodica. Il jouait des heures comme ça. Alors, quand le punk est arrivé là-dessus, tous ces gens-là se sont rencontrés. Il a suffi de deux ou trois personnes du genre Hervé Bordier, Titi, pour faire coller les gens ensemble, ceux comme Pierre, barrés dans des trucs plus intellectuels et ceux comme Rocky, le premier chanteur de MdS, plus directs, plus rocks, qui ne se seraient jamais rencontrés autrement. Ces gens-là ont réussi à faire des trucs ensembles, les premières parutions de Pierre datent de cette époque-là et c'était bien. Tout ça a donné le Rennes actuel. Après il y a eu le Drugstore, 78-79, c'était marrant. Puis le carrefour, le point critique de tout mouvement, quand ça freine après, parce que les gens prennent tout ça trop au sérieux. Marginalisation maximale. J'aime pas ça, je ne m'y sens pas à l'aise. Et l'Epée. J'ai déserté assez vite. J'y allais surtout du temps du couple M et Mme l'Epée, les branlées qu'ils se foutaient ! C'est pour ça que l'Epée était vraiment un truc, une caricature quoi ! Maintenant, je serais incapable d'y retourner. Après, je ne sais pas. Il faudrait faire une étude sociale de tout ce qui s'est passé à Rennes, et c'est marrant, parce que tout le monde se rejoint dans une espèce d'accord pour dire que Rennes était une ville où il fallait rester pour essayer de faire des trucs. Jusqu'aux gens qui ont fait le Chatham, maintenant. Et s'il n'y avait pas eu tout ça à Rennes, je ne sais pas si ces gens seraient restés là. Maintenant, il y a une sorte de mélange où tout le monde est d'accord pour dire que Rennes avec les nouveaux bars, les nouveaux journaux, c'est bien. Il faudrait savoir si toutes les villes de France suivent la même évolution, mais ça m'étonnerait.

M : Marquis de Sade ne fait pas trop d'ombre sur la musique à Rennes ?
FD : Dans chaque groupe rennais, il y a au moins un musicien de MdS. C'est normal, on était une sorte de plaque tournante, sans structure rigide...On va voir ce que ça va donner maintenant que la plupart des groupes ont signés.

[...]

M : On entend dire, un peu comme une critique, que votre album est très commercial ?
FD : Tant mieux. Maintenant on débouche sur une musique où l'on voit les choses avec beaucoup plus de recul, et on n'a pas envie de faire un groupe introspectif, dur...On ne peut plus faire la même chose. Les gens se sont demandés pourquoi on avait arrêté MdS "au moment où ça commençait à marcher": ouais, mais nous, ça faisait quatre ans que ça durait ! J'étais là depuis le début et je regrette juste qu'il n'y ait pas eu l'album public, ç'aurait été le meilleur...Maintenant, on espère déborder le public classique de MdS : ses 15000 tours (vente de MdS, 1er album: 20000, 2ième: 30000, en six mois). C'est déjà fait puisque en deux mois nous avons vendu 15000 disques, on espère encore élargir, mais à partir du moment où tu sors du circuit branché tu touches un circuit beaucoup plus large qui a besoin d'être sollicité, et qui a besoin d'entendre plusieurs fois le disque à RTL, plusieurs fois à Europe 1, qu'il te voie à la télé, etc. On est bien promotionné et c'est Michel Estéban qui s'occupe de nous. Ca prend du temps, et c'est bien que l'album soit sorti en Février, pour pouvoir marcher cet été.

M : Pour revenir à Octobre, tu es venu comment à la musique ?
FD : A dix ans, j'ai fait ma première tentative. J'ai une famille relativement musicienne, qui fait beaucoup de jazz, et je m'étais mis à la guitare pour suivre le mouvement, et avoir des heures de perm supplémentaires. Et puis, au bout d'un an je me suis aperçu que ça ne me branchait pas trop. J'ai tout arrêté pendant six ans. Je n'ai repris qu'en arrivant en fac à Rennes.

M : C'est toi qui écrit les chansons ?
FD : En partie. C'est très collectif comme démarche. Sur le dernier, j'ai fait des bouts de trucs au piano, tu montres, puis chacun amène son instrument, et au bout de deux ou trois heures, tu commences à voir où tu en es. Après le chanteur place une mélodie de voix avec des paroles en anglais ou en n'importe quoi, on met tout sur cassette et après on revoit tout en remplaçant les onomatopées par des paroles. C'est la formule la plus classique, je crois que la plupart des gens procèdent comme ça.

M : Tu as d'autres occupations, à part la musique ?
FD : Non. Octobre nous occupe beaucoup. Et puis, on a commencé à répéter pour le prochain 33 tours de Daho et pour celui de l'ancien chanteur de Private Jokes. On a aussi fait l'émission de télé "Echos des bananes" qui passera le 16 mai. Et on pense au prochain album. Je crois que ça parlera des villes, d'une certaine manière, avec des titres comme "Vénézuela", "Dans la ville", "Exil à Chypre", "Nos amis d'Europe"...Cet été on va promotionner l'album dans les clubs.

M : C'est plus facile de signer quand on est rennais et ex de MdS ?
FD : Non, je ne crois pas. Le tapage qu'il y a autour de la ville est très spécifique, ça ne touche que certaines personnes. Je ne sais pas si les maisons de disques y sont sensibles.

M : Alors, aucun vice en dehors de la musique ?
FD : Ah si, les cartes. J'adore jouer pour l'argent, je suis fan de poker, de tarot, à seule condition qu'il y ait un intéressement financier. En tournée, j'ai plumé tout Marquis de Sade. Avec Herpin, on a joué des fois jusqu'à huit heures du matin. Sorti de là, quand tu dors tu vois des cartes partout, mais c'est super intéressant. Les cartes, les filles, mais c'est pas un vice ça.

M : Ton genre de fille ?
FD : Généralement, je préfère les brunes aux cheveux longs. Grande. C'est un peu classique. Mais il y a beaucoup de dérogations. C'est facile d'avoir une dérogation...Le première fois que j'ai vu Jacqueline Bisset à la télé, en 73, je me suis dit que c'était tout à fait mon type de femme. Elle n'a fait que de mauvais films sauf avec Truffaut où elle est fantastique, c'est "La nuit américaine", elle y joue le rôle d'une star. Julie Christie aussi, j'aime bien (Docteur Jivago).

M : Tu flashes beaucoup sur les filles au cinéma ?
FD : Ouais, ouais, en général j'aime bien...C'est là qu'on peut voir les plus belles filles. Je trouve qu'une fille belle, c'est bien. Je suis capable d'aller voir un navet pour Jacqueline Bisset.

M : Et l'armée ?
FD : Réformé. C'est normal. En plus, j'ai fait les trois jours le lendemain du Chorus, alors c'était assez spécial. De toute façon, il fallait vraiment que je sois réformé, sinon, je ne pouvais pas partir en tournée. Qu'est-ce que j'aurais été faire là-bas ?

M : Et le Dimanche, à part des interviews pour Migrennes, qu'est-ce que tu fais ?
FD : Je vais chez mes parents, à la campagne, dans les Côtes du Nord. C'est très joli et très calme (prononcer cââlm, avec l'accent). Faut pas le dire. Surtout pas d'allusion à l'accent. Déjà avec le dernier Actuel, ils m'ont bien mis dedans, pour le branchement et la retransmission tel quel, sans les paroles, où je ne parlais qu'avec des onomatopées...les glandes à chaque fois !

Copyright : Migrennes, 1982 (Jacues Ars, c/o La Bernique Hurlante, Rennes)