Best, n°151, février 1981
Critique de l'album Rue de Siam
Enregistré durant 5 semaines au studio Ramsès à Paris, mixé début décembre à Air Studio à Londres et produit par Steve Nye, ce deuxième album de Marquis de Sade présente le groupe rennais au paroxysme de ses possibilités. Je m'explique. Le son, d'abord, est excellent, clair, précis, percutant, peu de médiums et beaucoup de graves et d'aigus. Une production très anglo-saxonne. C'est le premier point qui différencie " Rue de Siam " et " Dantzig twist ", le premier LP. Ce " Dantzig twist " dont tout le monde avait maudit la production qualifiée à l'époque d'insignifiante, de fade, de ridicule et j'en passe. Personnellement, j'avais adoré cette production cheap qui était justement en grande partie responsable de l'originalité du Marquis. Ce son frêle, aux épaules fragiles, qui faisait de MdS un groupe bien européen. Je ne regrette pas " Dantzig Twist " cependant et ne prétend surtout pas que " Rue de Siam " soit un produit inférieur. Mais, cette production ultraprofessionnelle de Steve Nye, cette production sans faille fait que ces deux disques sont diamétralement opposés. Autant le premier avait la divagation diffuse, insaisissable, indomptable du cri, autant le second est pensé, raisonné, façonné. Reste à savoir si Marquis de Sade n'a pas perdu sa fraîcheur. Je ne le pense pas. Ou, si c'est le cas, cette carence est immédiatement comblée par l'explosion des qualités intrinsèques des compositions de cette galette. II s'agit, en effet, d'un disque dense. D'un disque fort tant au niveau musical qu'au niveau émotionnel. Une fois encore, Marquis de Sade pose des questions essentielles : il remet en cause l'existence, la sonde de tous les côtés, l'explore. D'où ce climat d'angoisse quasi constant. Non, Marquis de Sade n'est pas et ne sera jamais un groupe gai, fait de couleurs chatoyantes qui chantent la beauté et la limpidité de la vie. Pessimisme mal venu ? Non. Juste une inquiétude permanente, sartrienne. Choisir plutôt que subir. N'est-ce pas là le principe de toute vraie révolution ? De même pour la musique. Marquis de Sade remet en cause perpétuellement l'harmonie établie, évidente (sans pour autant la délaisser totalement : " Brouillard définitif "), la mélodie trop bien " roulée " pour être tout à fait honnête et non racoleuse. Marquis de Sade n'est pas un groupe simple. C'est là sa force mais c'est aussi là sa faiblesse. Car, si ses cheminements sont divins, ils deviennent, poussés à leur extrême, irritants. L'irritant, c'est, par exemple, ce " Submarines and Iceberg " trop planant et trop mou. C'est encore quelques passages trop délirants et mal contrôlés qui frisent le jazz-rock. Mais ceci se noie dans l'océan de qualités qui inonde cette rue de Siam (nom d'une rue chaude de Rennes). Ecoutez donc les deux morceaux chantés en Français (" Cancer et Drogues " et " Brouillard définitif "). Les titres en sont déjà des chefs d'oeuvres d'expression et de... désespoir contenu. Ces deux créations recèlent une intensité infiniment poignante, si poignante qu'elle en devient simplement belle. A l'image de cet album qui recèle la beauté froide de l'immatérialité et de l'angoisse.
Philippe Lacoche.
Copyright : Best, 1981