Frank Darcel - Interview exclusive 12-1998
En ce mois de décembre 1998, je viens pour la seconde fois aux transmusicales, pour la seconde fois à Rennes. Les festival Off des Bars en trans (concerts gratuits dans une flopée de bars rennais) propose pour son premier jour une affiche avec Kalashnikov (ancien groupe de Dominic Sonic, reformé pour l'occasion) et Les Nus (groupe de Christian Dargelos, fondateur de Marquis de Sade). En arrivant devant le bar, quelques personnes attendent. Le bar est déjà bondé. Un personne seule me paraît familière. C'est Frank Darcel ! Je n'hésite pas et m'approche. C'est bien lui (il me le confirme !). Après avoir vécu 3 ans au Portugal (et produit beaucoup), il revient à Rennes. Aujourd'hui, il aimerait voir son pote Dargelos rejouer sur un scène. Je lui propose une interview. Le rendez-vous est fixé. Et c'est là que je découvre une personne très simple et très sympathique. Extraits d'une discussion autour d'un verre...
Frank Darcel : Je me suis aperçu il y a quelques temps, que Marquis de Sade jouissait d'une certaine côte au Portugal. Je produisais un groupe folk et lors des répétitions dans leur petite ville de montagne, le journaliste local m'a demandé de dédicacer un " Air tight cell ". Pendant l'enregistrement, un chanteur invité m'a demandé la même chose. J'ai cru que c'était un gag, parce qu'il n'a été tiré officiellement qu'à 1200 exemplaires…
Pascal Bechoux : Marquis de Sade a été réédité il y a quelques années par Barclay et plus récemment à partir d'une initiative rennaise, comment cela s 'est-il passé ?
F. D. : Barclay avait racheté les droits au label de l'époque. Pour une fois, nous avons eu des relevés de royalties et en cadeau, des exemplaires de ce coffret spécial tiré à 200 exemplaires. Pour ce qui est de la récente réédition, je n'en sais pas grand chose, sinon que les couleurs des pochettes sont pisseuses.
P. B. : Comment avez-vous commencé Marquis de Sade ?
F. D. : Au départ il y avait Christian Dargelos et moi, accompagnés de Pierre Thomas à la batterie et d'Alain Pottier aux claviers. Philippe nous a ensuite rejoints, en amenant un guitariste qui n'est pas resté. Le clavier non plus d'ailleurs… Ensuite, il y a eu la valse du second guitariste, sur la longueur on a dû en épuiser six ou sept !
P. B. : Parce que c'est difficile de jouer de la guitare avec Frank Darcel ?
F. D. : Non, c'était juste pour changer…(rires) Pour ce qui est de la rythmique, comme on trouvait Philippe et moi que Christian et Pierre ne bossaient pas assez leur instruments, on a embauché Eric Morinière à la batterie et essayé deux ou trois bassistes avant d'en arriver à Thierry Alexandre, peu avant l'enregistrement de Dantzig Twist. Il y avait eu avant une période avec Serge Papail à la basse qui avait aidé à forger l'identité du groupe.
C'est lui qui a décidé de nous quitter pour une fois, mais Thierry et Eric se sont très vite bien entendus.
P. B. : Vous viviez ça comment à l'époque, à 19-20 ans ?
F. D. : J'étais dans un état d'esprit très différent de maintenant, certainement. C'est un peu comme une autre vie, dont je me souviens malgré tout très bien.
P.B. : Mais vous viviez cela très fort ?
F.D. : Bien sûr et l'image du groupe n'était pas toujours facile à porter. Froide, parfois arrogante, mais c'était l'époque… Heureusement j'avais de bonnes aptitudes à la décompression rapide
P.B. : Dans la même époque, il y avait Taxi Girl, qui vivait cela très fortement aussi. Tu aimais ?
F.D. : J'aimais oui. Il leur arrivait de faire notre première partie et ceci dit nous n'étions pas vraiment amis. J'ai surtout aimé leur période Sepukku et cette chanson : " Quelqu'un comme toi "
P.B. : A ce moment, tes relations avec ta famille se passaient comment ? Si on lit le fameux article dans Actuel..
F.D. : Cet interview était un bidonnage, ils me font dire des choses que je n'ai jamais dites. J'ai revu le journaliste récemment et il s'est excusé. Cet article entre autres, était un moyen de couper avec leur ancienne formule, ils avaient besoin de forcer le trait. Ceci dit, d'un point de vue notoriété cet article a été très important pour nous.
P.B. : C'est quand même un article dont les gens parlent beaucoup. La photo avec les mamans en couverture…
F.D. : C'est rigolo, assez surréaliste !
P.B. : Vous avez arrêté MDS, pour divergences musicales avec Philippe ?
F.D. : Entre autres raisons, mais disons qu'au cours des tournées, l'ambiance à l'intérieur du groupe s'était énormément détériorée. Peut-être aussi qu'Eric, Thierry et moi, on avait envie de quelque chose de plus frais, plus pop. On avait déjà commencé de travailler avec Etienne avant la fin du groupe et on sentait que cette collaboration ouvrait des perspectives.
P.B. : Mythomane pour toi, c'est un peu la suite de Rue de Siam ?
F.D. : Non, mais certains riffs prévus pour MDS, n'ont pas été utilisés sur Rue de Siam. Ils l'ont finalement été avec Etienne, puisqu'il cherchait des chansons. Il y a donc une parenté, mais il me semble que le propos fondamental est très différent.
P.B. : Comment s'est passée la fin de MDS ?
F.D. : A la mésentente s'ajoutaient des problèmes contractuels. Les royautés n'étaient pas payées avec régularité, je crois qu'on en avait un peu marre d'être connus et pauvres… Quand le groupe a été vraiment terminé, Eric Thierry et moi, on a enchaîné sur Octobre.
P.B. : Avec Daho, vous aviez fait les trans en 80, vous répétiez depuis longtemps avec lui ?
F.D. : Nous avions déjà maquetté. Pour les trans, j'ai monté l'équipe en trois jours. Ensuite, j'ai fait sept ou huit concerts avec Etienne, avant de me consacrer uniquement au travail de studio. J'ai produit " Le grand sommeil ", l'album " La notte " et " Tombé pour la France ".
P.B. : Dans Octobre, Eric Lanz, le premier chanteur a été remplacé par Patrick Vidal, ex- Marie et les garçons, (NDLR : groupe Lyonnais du milieu des années 70, à conseiller d'urgence ) comment s'est faite la rencontre ?
F.D. : Au travers de Michel Esteban qui était notre manager commun. J'aime beaucoup la manière d'écrire de Patrick, mais à l'époque d'Octobre (Paolino Parc), le mélange ne s'est pas bien fait. Il a fallut attendre le groupe " Senso " et le single " L'océan ne sera pas la fin ", pour que notre collaboration à Patrick et à moi, donne vraiment quelque chose. J'aime beaucoup ce titre.
P.B. : Mais aucun album de Senso n'a suivi ?
F.D. : Non, problèmes de label de nouveau et Patrick avait commencé d'acquérir une certaine notoriété en temps que DJ. Comme je ne savais pas faire autre chose, j'ai encore essayé de remonter un groupe… C'était en 88 et Pascal Obispo était le bassiste, un jour où le nouveau chanteur n'est pas venu, Pascal est passé devant le micro. Agréablement surpris, je lui ai proposé de devenir le chanteur du projet… Cela devait continuer de s'appeler Senso, mais une fois en studio, la direction prise ne correspondait plus à l'image que je me faisais du groupe. " Le long du fleuve " est donc devenu le premier album de Pascal et n'est en fait sorti qu'à Rennes, en tirage réduit… Un sacré collector !
P.B. : Et après ?
F.D. : Je me suis un peu occupé de Pascal en temps qu'éditeur et j'ai continué à produire des trucs à droite à gauche. Patrick Gaspard, entre autres, un barman de Rennes qui a signé chez Island en 92 et avec qui nous sommes partis tourner en Chine durant cinq semaines… Au retour, Island venait d'être racheté et son contrat lui a été rendu. Il a quitté la musique depuis, mais ce voyage en Chine restera pour toute l'équipe de Bretons qui l'accompagnait, un souvenir inoubliable !
J'ai aussi tourné en Asie et en Afrique avec Eric Le Lann, un trompettiste de jazz. Je m'occupais du son.
A partir de 93, j'ai commencé à aller à Lisbonne régulièrement pour y travailler en temps que producteur. Je m'y suis même installé pendant trois ans et j'y ai produit neuf albums, dont trois au moins ont été de gros succès.
Depuis quelques semaines, je me suis de nouveau installé à rennes. Je reviens à mes premiers amours…
P.B. : Quels sont tes premiers amours ?
F.D. : Je travaille avec une chanteuse sur un projet où j'écris la musique et une partie des textes. J'avais l'idée de quelque chose un peu dans le style PJ Harvey, mais finalement ce sera sans doute un peu plus pop… C'est en tous cas, un projet très important pour moi.
P.B. : Est-ce que tu crois avoir influencé des gens ?
F.D. : Au travers de MDS et d'un point de vue local, très certainement. Mesurer l'influence du groupe au-dela me paraît difficile. La notoriété de MDS a malgré tout dépassé les frontières et peut-être que finalement nous faisons partie des influences de Mão Morta et Sètima Legião au Portugal, par exemple. En tous cas, ces groupes connaissent bien nos disques et Mão Morta sonne parfois très proche, de plus le chanteur a épousé une Rennaise… Alors oui, il y a sans doute de l'influence dans l'air…
P.B. : Dans une production, qu'est-ce qui fait que tu décides d'accepter ou non le travail ?
F.D. : C'est un mélange de considérations artistico-financières…. Pas toujours facile à définir ! Ce projet personnel dont je parlais, va m'aider à me re-situer au niveau de mes envies réelles. A force de travailler pour les autres, on se perd un peu…
P.B. : Tu écoutes beaucoup de choses en Français ?
F.D. : Pas assez sans doute. Un peu le dernier Bashung, pour le reste il faut que je me remette dans le bain.
P.B. : Tu mixes souvent au Synsound studio, fan de telex ?
F.D. : J'aime beaucoup, mais ce n'est pas la vraie raison. En fait j'ai découvert l'endroit il y a quinze ans, lors de la production de " Tombé pour la France " d'Etienne ; j'aime la manière sérieuse dont tout y est organisé. Quand j'y suis, je me sens vraiment l'esprit libre. Je sais qu'aucun problème technique ne viendra entraver le processus de création. De plus, je suis maintenant très ami avec toute l'équipe, ça aide dans le travail…
P.B. : Quel est l'album préféré auquel tu as participé ?
F.D. : Ouille ! Les disques de Marquis de Sade, " La Notte " d'Etienne, " Mosquito " l'album de GNR au Portugal, " l'océan " le single de Senso avec Patrick Vidal. J'arrête là sinon je vais tout citer…
P.B. : Et ton album, tu l'as fait pourquoi ?
F.D. : Je l'avais presque oublié ! Je l'ai fait parce que je voulais savoir ce que c'était d'interpréter ses propres chansons. Cela a été une expérience très enrichissante et très difficile aussi, puisqu'il n'y a jamais eu de maison de disques pour m'épauler. Encore un collector…
P.B. : Tu n'as pas envie d'en refaire un ?
F.D. : Si, mais cette fois je m'entourerai plutôt de machines. J'ai une vague idée en tête, mais ça n'est pas encore mûr. Il y a tant de choses à faire avant…. Je te tiendrai au courant !