L'étreinte

LUMIÈRES ET TRAHISONS.... APRÈS DEUX ANS D'ABSENCE, MARC SEBERG REVIENT AVEC UN TROISIÈME ALBUM TÉMOIN DE LA MATURITÉ ET DE L'APAISEMENT DU GROUPE.
UNE ÉTAPE IMPORTANTE POUR CES HÉRITIERS D'UN PASSÉ ENVAHISSANT QUI, ENTRE LYRISME ET CLARTÉ, NE PEUT PAS LAISSER INDIFFÉRENT.

Vous semblez particulièrement satisfaits par ce nouvel album ; que manquait-il aux précédents?
(PhiIippe PascaI) Des choses toutes simples. L'enregistrement de ceIui-ci s'est par exempIe dérouIé à Bruxelles aIors que d'habitude, ça se passait à huis-clos, dans des bIeds perdus où l'on vivait Ies uns sur les autres pendant quatre ou cinq semaines, avec la télévision pour seuI loisir. A côté de ça, BruxelIes est une ville très beIIe. Dès que nous voulions nous changer Ies idées, nous aIIions nous ballader. C'était assez exotique pour nous, en fait (rires)... Tout ceci a fait que ce disque a été enregistré dans Ia bonne humeur et la décontraction, ce qui était une grande première (rires)...

Qu'est-ce qui vous a amené à choisir John Leckie pour la production ?
(Marc Seberg) Nous sommes tombés dessus un peu par hasard. Ce n'est pas un producteur à Ia mode, c'est plutôt un vieux de la vieiIIe (rires)... Il a commencé à travailIer en colIaborant à l'album "Rock'n'roII" de John Lennon. En tant que producteur, il a par la suite travaiIIé avec Xtc, Magazine, SimpIe Minds, Siouxsie and the Banshees... Il doit aussi produire le prochain aIbum d'Andy Partridge (Ieader de Xtc, ndIr). Tout en sachant très exactementce qu'il veut, John Leckie est queIqu'un de très ouvert, absoIument pas directif au mauvais sens du terme, c'est quelque chose de très agréabIe. De pIus, il a beaucoup d'humour et ça ne gâche rien (rires).

Dans quel étar d'esprit êtes-vous entrés en studio ?
(MS )Nous avons eu Ie temps de préparer cet aIbum. Les premières maquettes ont été faites au mois de mai de l'année derniére, avant que l'on parte en Amérique centrale. En généraI, à une ou deux exceptions
près, nous savions l'orientation qu'aIIaient prendre Ies morceaux. Certaines méIodies ont été trouvées pendant l'enregistrement, comme ceIIe de "La nef des fous" et de "Quelqu'un quelque part".

Comment voyez-vous l'évolution du groupe depuis le premier album?
(MS) Nous avons mûri depuis le premier album, ce qui me paraît normal. Il y avait un pas énorme de franchi entre ce premier lp et "Le chant des terres". A notre avis, l'évolution est aussi imporIante entre le deuxième aIbum et "Lumières et trahisons". Notre univers s'est élargi, aussi bien au niveau de la composition des morceaux qu'au niveau des textes. Précédemment, les paroles étaient très écrites. A la limite, les textes pouvaient tenir debout tous seuls, sans le support de la musique, aIors que ceux de "Lumières..." ont été écrits de façon beaucoup pIus directe, pIus spontanée et souvent pendant l'enregistrement.

On a souvent parlé de tes problèmes en studio avec le chant...
(PP) Ça fait partie des légendes. Les voix sur cet album ont pris moins de temps que les autres instruments. Beaucoup de gens ont une image compIètement déformée de moi... mais après tout, c'est leur probIème.

Les malentendus sont faits pour être dissipés...
(PP) Oh non, ça m'importe peu. CeIa dit, ces "maIentendus" ne datent pas d'hier. Dès I'époque des "Garçons modernes" et cette image proprette qu'on cherchait à nous coIIer, alors que nous étions cradiques et toujours mat rasés. Cette image cIean, de droite à la limite, nous coIIe à Ia peau depuis. Avec Marquis de Sade, on montait sur scène bourrés, nous étions I'antithèse de l'image qu'avaient les gens de nous, un peu résumée par cette fameuse couverture d'AcIueI : "Les jeunes gens modernes aiment leurs parents" (rires)... Cette histoire de Garçons Modernes n'a jamais rien vouIu dire.

Aviez-vous, au début de Marc Seberg, conscience du poids de Marquis de Sade sur le groupe?
(Anzia) Oui, iI était évident que l'on allait traîner ça derrière nous beaucoup pIus qu'Octobre (groupe de Frank DarceI, autre Ieader de Marquis de Sade, ndIr) par exemple, de par le simple fait que Philippe était le chanteur de Marquis de Sade. Rétrospectivement, iI faIIait au moins deux aIbums pour que les gens oubIient ça, ce qui explique que beaucaup de gens aient vu dans Ie premier aIbum de Marc Seberg le troisième aIbum de Marquis de Sade. Je pense que maintenant, le probIème est régIé. En presque trois aIbums, on a eu le temps de toucher un autre public, beaucoup plus jeune, comme on a pu s'en apercevoir,
avec le spectacIe "Autres chants". Il était évident que ces gens n'avaient jamais écouté Marquis de Sade avant.

Pour revenir sur ce premier album, on a néanmoins l'impression d'une cassure nette par rapport au Marquis...
(Anzia) Non,iI n'y a pas eu de cassure particuIière. Après que PhiIippe ait quitté Marquis de Sade, iI a faIIu tout reprendre à zéro. Pendant cette période d'environ deux ans, nous avons travailIé en vase cIos, sans donner aucun concert. Mis à part pour Philippe, c'était pour nous tous, notre premier véritable album, ce qui fait qu'il est très personnel. En ce qui me concerne, je l'ai enregistré un peu comme si ce devait être le seul disque de ma vie.

"Lumières et trahisons" vient plus de deux ans après "L'éclaircie"...
(Ms) Nous avons voulu travailler avec un metteur en scène pour essayer de faire autre chose qu'un autre "concert rock", ce qui a impliqué de monter un spectacle à part entière. Ce qui nous intéressait était d'essayer différentes techniques propres au théâtre et de voir si l'on pouvait les appliquer à un concert. Nous avons donc travaillé avec un metteur en scène rennais, Hervé Lelardoux, pour ce spectacle intitulé
"Autres chants".

Que vous a apporté certe expérience?
(PP) Je voulais que l'on m'apprenne à me discipliner. J'avais l'impression d'être un peu dispersé sur scène. Je voulais travailler dans un sens plus concis, plus efficace. Le jeu de l'acteur est très proche de celui de musicien ; tout comme l'acteur a un texte à suivre, nous sommes liés à la structure musicale des morceaux. Par rapport à ça, chacun a une marge d'interprétation. L'intérêt de notre collaboration avec Hervé était d'affiner notre manière de présenter les morceaux et notre musique en général au public, particulièrement au niveau des éclairages, qui sont très importants pour le groupe. Nous avons présenté dix fois ce spectacle. Le problème était que nous avions un décor de sept mètres cinquante de haut, qui nous interdisait la plupart des salles de concert classiques et nous renvoyait sur le circuit des maisons de la culture. Mais de toute façon, c'était très enrichissant. Je vois désormais de façon différente des choses comme le déplacement sur scène ou d'autres détails encore.

Vous avez également joué aux Etats-Unis...
(Ms) Après "Autres chants", le spectacle en question, nous sommes partis jouer à Minneapolis tout d'abord. C'était au "First Avenue", la fameuse salle où a été tourné Purple Rain. L'accueil du public a été tel le premier soir que les propriétaires nous ont demandé de jouer un soir de plus, dans le cadre d'une"soirée Dégénérés"(rires)... Le public américain a très bien réagi, ça nous changeait des "branchés" français : ils venaient habillés n'importe comment, parfois en short (rires)... Comme toujours, ils ne pouvaient pas imaginer qu'on puisse faire du rock en France. Après ça, on a été jouer à Pontiac, à côté de Detroit, devant quinze personnes (rires)... Après les mille personnes de Minneapolis, ça nous changeait (rires)... Parmi ces gens, il y avait un fan de Marquis de Sade qui n'en revenait pas de voir Marc Seberg jouer à Pontiac, dans sa ville! Pour finir, nous avons joué à New York, à la Danceteria : c'était un vendredi soir et la boîte était bourrée à craquer. En revenant des Etats-Unis, nous sommes entrés en studio pour préparer les maquettes de notre version de "Venus in Furs", du Velvet Underground, qui figure sur la compilation "Les enfants du Velvet". C'était assez marrant de revenir directement de New York pour enregistrer "Venus in Furs" (rires)... On a répété pendant une semaine, et nous sommes partis enregistrer à Londres.

Que pensez-vous de cette compilation?
(PP) Franchement, Pour moi, le seul morceau intéressant est celui de Marc Seberg. C'est le seul qui se démarque un peu du Velvet et apporte quelque chose de nouveau, bien ou pas d'ailleurs.

Je trouve le morceau de Taxi Girl bon...
(PP) Exactement, j'allais le dire (rires)... Le reste est totalement dépourvu d'intérêt.

Vous avez également été jouer en Amérique du Sud...
(Ms) Oui, ça a duré cinq semaines en tout. Nous avons commencé à Haïti où nous sommes tombés dans une période assez difficile, puisque Duvalier venait d'être accueilli en France et que, par voie de conséquence, les français n'étaient pas très bien vus là-bas. Nous avons joué dans un théâtre, les gens sont restés assez interloqués (rires)...Le moins que l'on puisse dire est qu'ils ne s'attendaient pas à ça (rires)... Après, nous sommes partis jouer au Mexique, ou nous sommes restés une dizaine de jours.

Avez vous joué à Mexico?
(Ms) Non, ce n'était pas possible. Il y a une délinquance montante qui fait que les gens de l'alliance française qui organisaient la tournée n'avaient pas trop envie de prendre le risque de mettre sur pied un concert à Mexico dans ces conditions. Après neuf heures le soir, les gens ne sortent pas. De plus, le dernier concert s'était vraiment très mal terminé, ce qui fait que nous avons joué dans les villes moyennes, et c'était fantastique, l'accueil était vraiment enthousiaste. Tous ces gens n'avaient pas les aprioris qu'ont les français, pour eux, Marc Seberg n'était pas un groupe triste et cynique(rires)... Phillippe leur parlait entre les morceaux, dans un espagnol improvisé, pour leur traduire certains passages de "Conradt Veidt" et de "L'éciaircie" par exemple, ce qui était parfait dans le contexte (rires)... Après le Mexique, nous avons joué au Guatemala, au Honduras, au Salvador et en Colombie, pour, à chaque fois, de un à trois concerts. Même si les conditions techniques étaient abominables, nous gardons un souvenir fantastique de cette tournée et de l'organisation des gens de l'alliance française.

Quand jouerez-vous à nouveau en France?
(Ms) Pas avant novembre 87. Nous savions que le disque sortirait trop tard pour tourner avant. Mais nous avons vraiment hâte de jouer, ne serait-ce que pour montrer ici que Marc seberg existe encore ; ce qui ne semble pas évident à certains (rires)...

Pourrais-tu revenir sur le titre de l'album, "Lumières et trahisons"?
(PP) Ce pourrait être une image de la vie que l'on construit tous les jours et que l'on laisse parfois détruire, ou que l'on détruit soi-même. Cela pourrait vouloir dire qu'il faut vivre, absolument. cela vient peut-être du fait que j'ai vécu des moments difficiles cette année, mais les anglais disent "Nothing come from nothing", rien ne peut venir de rien...

Tes textes sont désormais imprimés sur la pochette...
(PP) Moi aussi,je trouve ça un peu impudique (rires)... c'est aussi une façon de les accepter jusqu'au bout. Je suis prêt à dire des choses que je ne pouvais pas dire à une certaine époque. Cela dit, ces textes n'ont de valeur qu'en fonction de la musique.

L'écriture est-elle importante en soi?
(PP) L'écriture est importante en fonction de Marc Seberg, uniquement. Je changerai peut-être un jour, mais pour le moment, je n'ai pas la prétention de croire que mon écriture est importante en soi, détachée du contexte musical.

Que représente pour toi le fait d'avoir abandonné définitivement l'anglais, dans le texte des morceaux ?
(PP) Au début, ça a été difficile, même douloureux dans la mesure où les seules références que j'avais étaient anglo-saxonnes, ce qui faisait qu'il me semblait plus naturel de chanter en anglais. Je me suis rendu compte que ce n'était ni logique ni cohérent avec le discours européaniste que je tenais à l'époque et qu'il fallait absolument que je chante en français. C'est une discipline que je dois m'imposer. cela dit, ça n'a rien changé à la façon de voir la musique et la composition des morceaux, dans la mesure où en répétition je chante en anglais, c'est ce qui me vient le plus naturellement. "La nef des fous" reste toujours pour moi "Love lines", parce que le texte avait d'abord été écrit en anglais.

Quels sont les morceaux de Marc Seberg qui vous touchent le plus?
(Pascale) "Tricks of mind" sur le premier album et "Les ailes de verre" et "Recueillement" sur "Le chant des Terres".
(PP) "Tricks of mind", "Les ailes de verre" et "Décembre" pour cet album-ci. Bien entendu, cela ne veut pas dire que je n'aime pas les autres, mais pour beaucoup de raisons, ce sont les morceaux qui me touchent le plus.

Quels sont les livres qui t'ont le plus marqué ?
(PP) "Le diable au corps" de Radiguet, énormément, ainsi que "Querelle de Brest" de Jean Genêt. Il y a également "Le crystal qui songe" de Sturgeon, je crois. C'est un bouquin d'anticipation que j'ai lu alors que j'avais dix ans. C'est l'histoire d'un petit mutant qui mange des fourmis. Dans ma jeunesse, je me suis identifié à ce gosse-là, ce qui m'a d'ailleurs amené à bouffer des fourmis (rires)... D'où ma fixation sur les insectes. En ce moment, je lis des ouvrages de paléontologie.

Le texte de l'un des morceaux de l'album, "Insecte " je crois, m'a rappelé un autre texte de toi, paru en post-face de "Une scène jeunesse", de Brice Couturier. . .
(PP) "L'étreinte", oui... J'ai effectivement certaines obsessions (rires)...

Bruno Gaston

DISCOGRAPHIE

"Marc 83 Seberg" (Virgin)
"Le chant des terres" (Virgin)
"Lumières & Trahisons" (Virgin)

Copyright : Les Inrockuptibles, 1987