Migrennes n°6, 1983


Rendez-vous chez lui, avenue Janvier. Trois coups de sonnettes et me voilà devant lui pour la première fois. Allure déguingandée, cheveux mouillés qui lui tombent dans les yeux, Lacoste rouge, blue jean trop large. Présentations sympathiques. Bière pour moi, eau minérale pour lui. Il se laisse tomber dans un fauteuil confortable et me considère avec étonnement. Il ne ressemble pas trop aux photos de ses pochettes. Je suis frappé par ses moues d'enfant boudeur et ses regards étonnés. Il est un peu difficile à cerner. C'est un mélange de fils de bonne famille et de loubard, de timidité et d'assurance, de sérieux et de désintérêt pour ce qui lui arrive. Curieux, ce garçon. Télé allumée sans le son et la même face du dernier Joe Jackson qu'il remettra sans cesse. Je branche mon magnétophone. L'interview sera longue car le téléphone n'arrête pas de sonner.

Peux-tu faire un bilan de cette première année de carrière ?
Eh bien, l'album a marchouillé, mais je me suis fait un nom car la presse et les radios ont bien réagi. Cela a facilité l'accueil du nouveau 45 T. A part ça, j'ai appris des tas de choses sur mon métier et rencontré des tas de gens. Bref, c'est assez positif, sauf que j'ai toujours pas de blé.

Peux-tu me parler de ce nouveau 45T ?
Mais bien sûr (rires). Au départ, on devait le faire avec Yared, un Fairlight, tout ce qu'il y avait de plus moderne et tout, mais c'était trop cher. On l'a donc fait à Rennes avec un budget moyen et relativement peu de temps. Enfin, c'est toujours mieux que d'enregistrer dans sa cuisine. Tout s'est hyper bien passé, tout le monde a bien assuré, Darcel, les musiciens, Darnaud, Blanc-Francard et tout cela dans une ambiance d'une coolerie !

C'est toi qui a composé "Le grand sommeil" ?
Ouais et d'ailleurs au début je trouvais ça bien niais (rires). Il nous manquait un titre pour les maquettes et je l'ai proposé sans conviction. Frank a été le seul à trouver ça bien. Lorsqu'on l'a enregistré en studio, il s'est passé un truc complètement magique, vraiment planant. J'étais scié. Maintenant, je suis très fan de ce morceau.

On dit que tu n'aimais pas ton premier album
Mais non, j'ai toujours adoré les chansons de cet album. Bon c'est vrai, je n'ai jamais été dingue de la production, mais peu importe, ce disque a une grande signification affective pour moi. Le fait qu'il ait fait un petit score de vente m'est complètement égal.

On ne voit plus jamais Daho sans Darcel maintenant ?
On a toujours été assez potes mais depuis à peu près un an, c'est vrai qu'on est assez lié. J'ai beaucoup d'estime pour lui. Il a une façon de fonctionner tellement étonnante. Il me fait rire, il a un humour vraiment absurde.

Que penses-tu de la façon dont il a produit ton disque ?
Je suis très fan, c'est un bon producteur. Il est heureusement assez patient et j'ai pu intervenir sans arrêt et gonfler tout le monde. Pour l'album, j'ai pas vraiment moufté. Je ne connaissais rien aux studios et je laissais Maître Jacno officier.

Tu revois Elli et Jacno ?
Pendant un an on a eu un genre de haine à cause d'histoires personnelles (rires). Mais nous nous sommes retéléphonés récemment. Quoiqu'il arrive, je les aime bien. On fait partie de la même bande. On se ressemble un peu.

Pourquoi fais-tu si peu de scène ?
Je crois que j'avais la trouille. J'ai refusé toutes les propositions de concerts pour reculer l'échéance. Je ne prenais pas ces histoires de musique au sérieux, mais tout a été tellement vite ! Et puis tu sais, un concert de Daho, ce n'est pas très spectaculaire. Mais bon, il faut s'y mettre et je crois que je suis un peu mordu maintenant. Ca me démange, c'est fou ce qu'on peut changer !

Ne trouves-tu pas que tes chansons sont un peu trop "variétés" ?
"Variétés" ? Ah ! l'immonde. Tu trouves vraiment ? Arg...j'te hais. En fait, on peut même dire que c'est du folklore auvergnat, je m'en fous. Je fais ce que j'aime, des chansons pop. Je le dis depuis le début. Je ne suis ni un rocker hystero ni un coureur de tubes. Remarque, si ça marche, on aura plein de blé pour faire un super album. Peut-être même qu'on pourra le faire dans un studio dément, genre Nice ou Nassau. T'imagines le flash ?

Peux-tu me parler de ce prochain album ?
Le thème de l'album sera la nuit, tout ce qui se passe la nuit, j'te laisse le soin d'imaginer...J'écris et je compose la quasi totalité de l'album avec l'aide d'Arnold Turboust. Frank produit. Bon, pour l'instant, on prépare la chose.

Quels sont tes projets actuels ?
Le 45T marche bien et il faut assurer le service après-vente : télés, radios, interviews, concerts,... Bref, le truc classique. On sort également un maxi 45T avec les morceaux du 45T en versions longues, un jerk d'enfer qui s'appelle "Swingin'London". Le disque sort également au Bénélux, Italie, Allemagne. Va falloir que j'aille faire le malin là-bas (rires).

On parle d'une idylle sérieuse avec une chanteuse connue ?
Copyright : Migrennes, 1982 (Jacues Ars, c/o La Bernique Hurlante, Rennes)

Ah bon ! Déjà 7 heures...j'le crois pas...il faut que je file. Ciao.

François Bellocq