Après sept ans de carrière et quatre albums, Marc Seberg reste le groupe français le plus en marge. "Le bout des nerfs", leur dernière production, marque un changement dans 1'écriture et la musique... Prémonition les a rencontrés, plus bavards que d'habitude, lors de leur passage à Bordeaux.
Vous exercez une fascination sur votre public. De l'intérieur, comment percevez-vous ces rapports ?
Philippe : J'ai toujours l'impression de faire partie du public. Et je me comporte sur scène comme tel. J'ai toujours cette même naïveté quand j'écoute, moi aussi, le Velvet Underground, les Doors... Il n'y a pas de différence entre eux et moi, mis à part le fait que je sois plus souvent sur scène et que ça arrange bien des choses. Je n'ai pas grand chose à dire, simplement qu'on n'essaie pas d'accentuer le fossé entre le public et nous.
Pascale : A une certaine époque, celle de "Lumières et trahisons", c'est vrai qu'il y avait un côté qui pouvait être pris comme froid. Qui n'était pas froid en fait ! Il y avait surtout beaucoup de retenue. Nous avons toujours été timides, pudiques. Il y a encore certaines villes où ça se passe comme ça, où on garde cette distance. Et puis il y a d'autres endroits où l'on a l'impression que le public se laisse aller, et nous avec eux.
Ph : Pour les tournées précédentes, on avait toujours besoin d'un filtre entre le public et nous. On avait besoin d'éclairages hyper précis, de connaître certains déplacements. En fait, j'ai vraiment peur du faux pas. Je crois que, quand on fait de la musique, on fait vraiment de la corde raide et on peut tomber à tout moment.. Ce qui est formidable dans cette toumée, c'est qu'on est parti sans sono, sans éclairagiste, sans sonorisateur de retour, si ce n'est les gens de la salle, et on fonctionne à l'énergie : ça passe ou ça casse. On voit immédiatement si ça accroche, car le public est un miroir. Si tu n'es pas bon, j'aime autant le dire qu'il ne va pas te faire de cadeau. Ça peut paraître démago, mais les gens peuvent te porter tellement loin. J'ai mis du temps à m'en apercevoir. Quanti j'ai commencé la scène avec Marquis de Sade, l'incommunicabilité était pour nous le système de références, on chantait en anglais des mots sans queue ni tête. Pour nous, ce qui était important, ce n'était pas ce qu'on disait mais la manière dont on le disait. Il pouvait se passer n'importe quoi dans la salle, on fonctionnait comme s'il n'y avait personne. C'était vraiment un cri primitif, mais l'âge venant, tu apprends la souplesse au contact des jeunes filles et de l'amour.
Vous avez réalisé un clip avec Mac Merwin sur "Quelque chose, noir". A qui est destiné ce clip ? Il est peu probable que la télé le diffuse.
Pa : Si, si, si... Le jour de son anniversaire, à deux heures du matin.
Ph : Deux heures moins dix, je regarde la Six, il y a Iggy Pop dans son costume. J'avais un pressentiment je ne sais pas pourquoi. Et j'ai vu le clip, je ne l'avais jamais vu sur cette chaîne, il avait déjà été diffusé sur TMC et FR3. Voilà, ça faisait deux heures que j'avais trente quatre ans, c'est un signe, je ne sais pas lequel, mais c'est un signe !
Pa : De toute façon, quand tu fais un album ou un clip, c'est pour te faire plaisir, tu dis ce que tu as envie de dire. On a la chance d'avoir des moyens corrects pour travailler, aucune contrainte artistique autre que les nôtres, celles qu'on s'impose. "Quelque chose noir" n'était pas le titre le plus "évident", mais ça ne nous a pas empêchés de le sortir comme premier single. Ce sont des choses qu'on envoie comme ça et on espère que les gens vont les recevoir un jour, d'une manière ou d'une autre, que ce soit par le clip, un concert ou la radio.
Les périodes de tournées sont-elles des moments où l'on rompt complètement avec l'écriture, la création ?
Ph : Absolument ! Je ne peux pas écrire en tournée. Je n'en ai pas le temps. Pourtant je passe mon temps à attendre. Je ne suis pas assez calme pour m'asseoir et me forcer à écrire !
Pa : C'est aussi un moment où le groupe se retrouve, parce qu'il y a des périodes où l'on tient un peu le creux. Chacun vit sa vie, chacun vit son intérêt différemment, et quand on se retrouve pour partir en tournée, c'est un moyen d'être à nouveau ensemble. Je pense que tous les groupes sont comme ça, ils se resserrent. C'est un état d'esprit complètement différent de celui de la préparation d'un album.
Comment se passe la création ? Philippe écrit-il tout seul, dans son coin, à partir d'une musique ?
Pa : Jusqu'à présent, on est toujours parti de la musique pour aller vers les textes. Mais, en ce qui concerne la musique, il y a des tas de façons différentes de fonctionner. Il n'y a pas une manière de travailler dans Marc Seberg. Par exemple, "Galver'an" est parti d'un thème de basse, et ça s'est fait très vite, car on a tous tendu vers la même idée.
Ph : C'est vrai. J'arrive toujours en second, après le groupe. La musique, c'est comme la littérature, il y a beaucoup d'images. Alors j'en profite, je m'en sers. Par contre, ce qui est vrai, c'est que j'ai rompu avec ma façon de travailler. Auparavant, il fallait que je m'asseye à une table, que j'attende que les idées arrivent, et une fois qu'elles étaient là, j'essayais de les mettre en forme. Et cette fois-ci, j'en ai eu marre du plan poète, et du poème mis en musique. On n'est pas là pour perpétuer une tradition dont le zénith était au XIXème siècle. La poésie, la poésie... Je crois que ça ne veut plus rien dire, c'est mort. Je préfère chercher les mots, jouer à les associer.., et qu'ainsi, certains mots que l'on n'a pas l'habitude de voir l'un à côté de l'autre fassent naître une image un peu nouvelle, étrange, mystérieuse. Je crois que c'est ça la création, c'est proposer une énigme aux gens. Il n'y a pas d'explication à donner, les gens peuvent l'interpréter à leur manière. La création c'est un bien grand mot, nous, on ne fait que des chansons, sans aucune prétention. C'est déjà bien de pouvoir les réussir.
Donc, je suis parti à Londres avec ces espèces d'expressions, des petits mots, et ensuite, j'ai essayé de les mettre à côté les uns des autres, et de trouver des lignes directrices générales, une trame. J'ai laissé faire le hasard et les accidents. On ne contrôle rien du tout, il n'y a jamais rien de prémédité. On ne sait pas où l'on va, on vit au jour le jour, on marche et on se regarde marcher. Nous ne savons strictement rien sur l'avenir, tout ce qu'on sait c'est qu'on fait des concerts en ce moment, et que demain on continuera.
Stéphane Teynie
Copyright : Prémonition, 1990