Au-dessous du volcan
Rennes étire une chaleur moite alimentée par les canaux qui sillonnent la ville. Chaque pas résonne, presque familier, dans cette ville qui m'inspire par ses quelques murs de briques rouges l'Angleterre, par sa structure et ses quelques édifices Amsterdam et le gris qui régit trop souvent nos esprits. Après-midi tranquille en cette fin du mois de juillet où les rêves s'orientent vers le Sud laissant pour compte l'Est. Et si les images défilent à cette vitesse dans ma tête, elles se synthétisent avec la musique d'un des groupes qui " palpite " sur Rennes... Marc Seberg est un témoignage saisissant du quartier où je me trouve. Un constat musical, une photocopie urbaine
des choses de la vie... Philippe Pascal, non content d'avoir profané le Marquis, se prend à redonner la place au compositeur Marc Seberg.
Philippe PASCAL : C'est une histoire très compliquée si l'on veut s'arrêter sur les détails, mais on peut simplifier. Vienne : Arnold Schoenberg fonde le mouvement Dodécaphoniste en prétextant qu'il peut révolutionner le concept musical grâce à la musique atonale. A ses cours de composition assistent Webern, Alban Berg et Marc Seberg. Pour des raisons qui restent peu claires, Marc Seberg ne fera pas beaucoup parler de lui. Mais le Marc Seberg 82 risque d'être autrement.
ROCK : Ce que l'on peut déjà dire c'est que tu as pris du temps.
Philippe PASCAL : On ne voulait pas d'un contrat à équivoque, on voulait un contrat honnête et nous l'avons obtenu. De toutes façons, la première maquette n'était pas comme la seconde et nous ne sommes pas encore en studio, je peux changer beaucoup de choses. Les paroles ne sont pas totalement écrites, il reste beaucoup de travail.
ROCK : Parlons studio, vous y rentrez quand ?
Philippe PASCAL : En novembre, pour une durée d'un mois ou un mois et demi. C'est à Paris que nous allons bosser avec comme producteur Steve Hillage.
ROCK : Tu penses que c'est un choix judicieux ?
Philippe PASCAL : Nous avions pensé à deux ou trois producteurs, mais leurs plannings sont très pris et puis d'autres ne sont plus très " clairs ". Je pense que Steve Hillage profilera un son clair, c'est ce qui demeure important, puis je pense que c'est quelqu'un qui accepte le dialogue. Il ne faut pas penser que le producteur est un Dieu, il est payé, mais c'est nous qui jouons. Je pense que l'on devrait trouver un bon compromis.
ROCK : Tu ne te sens pas du tout capable de produire toi-même ?
Philippe PASCAL : Oh, non. Mais ceci dit, j'aimerais beaucoup. Mais je ne fais pas un album solo, je suis dans Marc Seberg, ce qui veut dire que je n'ai pas le droit de me planter. Si un jour je fais de la production, je l'assumerai complètement.
ROCK : C'était difficile, après Marquis de Sade ?
Philippe PASCAL : Non, pas du tout, mais quand j'ai fait la première maquette avec Marc Seberg, j'ai été déçu : il manquait quelque chose. J'ai donc " coupé " pendant six mois, et maintenant les choses sont plus claires et surtout plus efficaces.
Une photocopie urbaine des choses de la vie
ROCK : Tu es enthousiasmé par la basse et la batterie ?
Philippe PASCAL : Les deux Private Jokes qui jouent respectivement basse et batterie, sont très bons, mais la guitare aussi sonne parfaitement. Marc Seberg c'est ce compromis, c'est le puzzle terminé, un puzzle en quatre pièces. La basse et la batterie sont en avant mais je veux aussi une guitare qui adhère bien, qui arrache quelque
chose, c'est ça une guitare.
ROCK : Et les textes ?
Philippe PASCAL : Ah, les textes... Et bien, je ne suis pas encore fixé. J'ai quelques idées ; de toutes manières, j'écris sur mon quartier.
ROCK : La vie de ton quartier ?
Philippe PASCAL : Exactement. J'écris et je m'inspire entre chez moi et l'autre côté du canal, c'est très simple. Ici, il y a les odeurs, les images, les bars, les anciens d'Indochine, l'épicier, le canal, l'eau, le béton, les briques, les voisins, le chat, les voitures, la ville, les gens, que sais-je encore. J'aime beaucoup ce quartier, je m'y ballade la nuit, c'est vraiment instructif. Voilà où je puise mes textes.
ROCK : Les gens qui ne te connaissent pas ont une fausse idée...
Philippe PASCAL : Par exemple ?
ROCK : Ils pensent que tu es quelqu'un de très tourmenté, noir, anxieux, etc...
Philippe PASCAL : Je sais très bien, mais je ne suis pas un tourmenté perpétuel, heureusement pour moi d'ailleurs. Tu peux t'en rendre compte ici, je suis aussi différent que sur scène. Les gens ne peuvent pas comprendre cela. Sur scène, je suis anxieux, survolté, mais il faut savoir que c'est pénible, c'est très dur. Mes textes peuvent paraître noirs, mais moi je ne le suis pas 24 h /24. Chacun véhicule des images, la mienne est publique, c'est tout.
ROCK : Tu te trouves parfaitement dans Marc Seberg ?
Philippe PASCAL : Nous n'avons pas les mêmes goûts musicaux, mais quand nous travaillons pour Marc Seberg on est ensemble. Il n'existait pas cette unité, si l'on peut dire, dans Marquis de Sade. Dans Marc Seberg, je fais musique et paroles, mais c'est comme quelqu'un qui donne le " la ". La finalité, c'est le résultat de tous les quatre.
ROCK : Qu'est-ce qui t'intéresse musicalement en ce moment ?
Philippe PASCAL : Disons que je suis un peu débranché, mais j'ai pris une grande claque avec Richard Hell, cela fait si longtemps que je l'attendais. Je n'ai presque plus de disques, j'ai surtout des cassettes. J'écoute beaucoup de musique et très diversifiée, cela va de Brel à Throbbing Gristtle. J'aime bien les textes de Ian Curtis, la musique aussi de Joy Division, mais sans folie. Je sais qu'il y a de bons trucs, et il va falloir que je tende un peu plus l'oreille. Je lis aussi beaucoup de romans, la poésie n'est pas un truc qui m'emballe beaucoup. Et puis il y a la télé et le cinéma.
ROCK : On peut penser vous voir après l'enregistrement de l'album ?
Philippe PASCAL : Oui, mais pour l'instant ce qui me préoccupe c'est l'enregistrement pour novembre. Après la sortie de l'album et d'un 45 T, eh bien on fera une tournée. Nous avons une maquette pour Virgin International, je suis persuadé que les Anglais peuvent craquer sur Marc Seberg.
ROCK : Rendez-vous pris pour novembre ?
Philippe PASCAL : Ok, pour novembre. Maintenant que tu connais un peu le quartier, tu comprends mieux ? Mais attends, la nuit, c'est un régal.
Difficile pour moi de vous parler du morceau que j'ai écouté. Premièrement je ne suis pas persuadé qu'il reste ainsi, ensuite il faut se laisser aller à le découvrir. Ce qui est sûr, c'est que ce morceau est hypnotique, et puissamment fiévreux. La basse et la batterie palpitent comme une ville en réveil, quant à la guitare, c'est un fil d'acier tranchant. La voix et les textes de Philippe Pascal sont ceux d'ici... là où mon regard se pose.
Les rayons lunaires se sont enfin posés sur la ville, lui donnant la force et la beauté qu'elle mérite. Le canal apaise une future tension, Marc Seberg est plus présent que jamais. " Et je me surprends à fredonner un air... ".
Rennes : Jean-Marc CANOVAS
Marc Seberg
Anza : Guitare
Pierre Corneau : Basse
Pierre Thomas : Batterie
Philippe Pascal : Chant
Copyright : Rock, 1982