Rock'n'Folk, n°156, janvier 1980
Critique de l'album Dantzig Twist
Dantzig Twist

Mal barré, le rock français. Des groupes incapables de concevoir leur entreprise avec une envergure, incapables de se penser en dehors de leur minuscule hexagone, soucieux de la moindre chronique, désespérés au point de manquer totalement de classe… Par exemple, le mois dernier, dans une rubrique, j’ai écrit que le souple de Marquis de Sade, tel quel, sans pochette ni rien, me semblait vaguement rébarbatif… Aussitôt, coups de téléphone en pagaille, semonces gentilles, menaces doucereuses, regrets affligés… On me fait comprendre, gentiment mais fermement tout de même, que si je n’aime pas ça je serais bien méchant d’en décourager les autres, etc…
MERDE.

Heureusement, la rédaction de ce journal nous laisse encore libres de vomir sur ce que nous haïssons (je vais y venir, je trouve ça finalement très intéressant, Marquis de Sade). Mais vous tous, les gens autour, les brasseurs de néant, pourquoi vous ne retournez organiser des tournées ou discuter promo avec les programmateurs de radio ? Vous vous rendez compte de l’énergie que vous perdez ? De la fragilité avouée de vos groupes, pour que vous les installiez dans ce coton ? Ils vont s’enrhumer à la première sortie, vous savez…

« Dantzig Twist », c’est avant tout une histoire de LOOK, un vertige de mots (inconsciemment murmurés en français, en anglais ou en allemand). C’est tout cela et plus : un disque carnassier que l’on dirait bâti autour des fameux articles d’Yves Adrien. Il est ici question, au-delà de la musique, de « maladies de peau » comme « d’espions japonais ». On imagine très bien en Marquis de Sade un groupe de provinciaux complètement isolés dans une ville même pas hostile, indifférente, et s’ouvrant consciemment et délibérément les veines, jour après jour, mois après mois devant des miroirs. Car Marquis de Sade existe depuis aussi longtemps qu’un Starshooter, mine de rien. Mais si les uns ont choisi l’explosion instantanée, la démarche fulgurante, les Sade (tout comme Extraballe, autre groupe noir qui sort ce mois-ci) ont choisi une lente approche du futur, mettant froidement tous les as dans leur jeu.

Et les jokers aussi bien. Full au roi. Trépanation totale : pour la première fois depuis toujours, voici un disque français, suivez-moi bien, qui existe en tant que tel mais qui est également absolument exportable vers le reste du monde. Image ? Comme Little Bob Story, les Marquis de Sade sont un groupe côtier, plus proches à la limite de l’Angleterre que de Paris…

Musique ? Elle est parfaite. Deux façons d’en parler. Soit en mettant l’accent sur les individus, donc sur le chanteur, Philippe Pascal, puis sur le guitariste Frank Darcel (joli nom aux résonances très « Berlin 45 »). Ou alors, le plus simplement du monde, en la montrant comme un tout. Marquis de Sade est un groupe rigoureux. La section rythmique est impeccable. Et ce qui frappe par dessus-tout, c’est la cohésion de ces cinq jeunes gens modernes, que l’on devine soudés comme personne. Parce qu’ils ne rêvent pas de gloire, ni de nanas, ni de pognon. Marquis de Sade est un groupe qui… qui… qui a quelque chose à DIRE !
(Vous notez bien que je fais des espoirs désespérés pour ne pas prononcer le mot « art » ici !) Marquis de Sade transcende tout, cite Baader et Klimt (références dangereuses, et dont tous leurs concurrents seraient bien incapables et s’affirme comme un groupe… dangereux. A ne pas fréquenter sous tout prétexte. Pour fans du Velvet, de Roxy Music, de David Bowie, ce sera la transition vers le futur. Pour tous les autres, c’est encore plus que ça. Marquis de Sade est un groupe européen. Le dernier ou le premier, à vous d’en décider. – Philippe Manoeuvre.

Copyright : Rock'n'Folk, 1980