Actualités : Marquis de sax
Daniel Paboeuf, le geste doux, la manière amène, bonne pâte, efficace et pondéré, est un jeune homme bien doué et lucide. Jeans et veste rouge, petites lunettes et yeux fatigués, cheveux mi-longs et voix lente. Il joue du saxophone – soprano, ténor, alto – depuis l'âge de douze ans. Partout, avec tout le monde, sur tous les tons. Il ne comprend pas, à vrai dire, que les cloisons soient si étanches entre les compartiments fermés de la musique. Rock, jazz, instantané, duo, grande formation, local ou non... qu'importe ! Le tout est de chercher. Daniel n'a pas fini de quêter. Diplômé de l'Ecole Normale de Musique de Paris, membre éphémère d'un bon nombre de petites formations de blues, de rock ou de danse, musicien parfait de studio pour Gérard Delahaye ou Mélaine Favennec en Bretagne, La Mirlitantouille, Michel Maillard, An Triskel, membre en titre de Kan Digor (cinq musiciens), Cisum (cinq musiciens), Marquis de Sade et Anches-doo-too-cool – ouf ! j'en passe –, Daniel Paboeuf présente cette singularité passionnante de n'appartenir exactement à aucune de ces formations et de ne se reconnaître « intégralement » dans aucune de ses réalisations. Il a bien le temps, au fond, de s'installer quelque part... S'il y a vingt personnes vivantes sur la scène française, il en fait partie. Il sourit, il est un peu fatigué et il a vingt-deux ans. On s'est vu à Morlaix. Ville timide, entrouverte le lundi, au bout des Monts d'Arée morts. Il nous a raconté tout ça.
R &F - Alors, qu'est-ce tu fais, toi ? Tu circules au milieu de tout ça ? Tu sors des créneaux convenus : jazz, . rock, next ska, old wave? Tout le monde commence à en avoir marre de ça...
Daniel Paboeuf – Oui, oui, ça commence à se faire de plus en plus. Moi, je place ça sur un plan absolument individuel. C'est une question d'individualité. Mais attention : je ne voudrais pas du tout qu'on pense à moi comme à quelqu'un qui veut « réunir toutes les musiques », tout ça... Des trucs, par exemple, comme Don Cherry, j'aime pas trop. J'aime pas du tout ce qu’il en dit. Cette idée de « la grande fusion » ! Ce concept de faire communiquer toutes les musiques – new wave, etc – et de mettre ça dans un « tout », vraiment, je ne me reconnais pas du tout là-dedans. Bon, ceci dit, effectivement, je participe à des trucs très différents dans des milieux, en plus, très fermés sur eux-mêmes...
R & F - C'est ça qui m'intéresse.
D.P. - Oui c'est amusant.
R&F - Et tu as raison. Les grandes idées wagnériennes new look, la synthèse grandiose, ça n'a pas grand intérêt.
D.P. – Stivell et sa « symphonie » !
R&F - Gaffe ! Tout ça sera inscrit...
D.P. - Ah oui alors ! Tout ce que tu veux. En plus, je l'ai même pas écoutée sa Symphonie !... (Rires collectifs ; vieux Stivell commence à être un rien amorti, dirait-on.)
R &F - Daniel Paboeuf, donc, c'est une individualité musicale qui ne serait pas réductible, pour une fois, à un mouvement, à un genre, à une étiquette. Surf : paf ! Punk : paf ! etc ?
D.P. - D'autant plus qu'en général, lorsqu’il y a des problèmes, dans ce milieu, ils ne se posent pas du tout en termes musicaux... Ce sont toujours des problèmes concernant tel ou tel milieu, avec ses « critères ». Un milieu tellement refermé qu’il ne peut même plus imaginer comment fonctionner autrement... Par exemple, un batteur de jazz qui travaille sur la « résonnance » – c'est vraiment l'exemple type pour moi – il a une manière d'accorder les peaux, il fait « résonner » les sons. Bon. Et le cliché que t'enverra un batteur de jazz sur un batteur de rock, c'est que les batteurs de rock, au contraire, ils font tout pour avoir un son synthétique, sans aucune « résonnance » ! Voilà. Et inversement... Alors que ce sont deux façons de fonctionner différentes, simplement, mais qui ne devraient pas s'exclure comme ça !
R & F - On dirait qu'en France il n'y a aucun bon musicien parmi les gens qui font du rock. Alors qu'ailleurs (en Angleterre), tu en trouves. Comme si tous les bons musiciens, un peu inventifs, ici, se trouvaient fatalement dans les milieux jazz... Qu'est-ce que tu en penses ?
D.P. - Oui, c'est vrai. Je vois. J'ai un peu connu ça. J'ai fait beaucoup de classique. Dix ans. Comme tout le monde, je me suis intéressé à des choses comme le jazz-rock, dévié sur le jazz et tout ce qui s'ensuit. C'est un état d'esprit qui te conduit à avoir une vision complètement technique de la musique. Et il y a plein de gens qui ont commencé la musique depuis trois ou quatre ans et qui sont arrivés là... Bon, en plus, le jazz-rock, ça se casse la gueule. Et ces mecs ont cette vision. Moi, j'ai fait ce parcours-là, et je me suis finalement aperçu qu'avant tout ça, j'avais aimé aussi Roxy !... Il y a des choses que tu ne peux pas nier. Alors Sun Ra, d'accord ! Mais Roxy aussi.
On s'est quitté sur un air d'escargot (une mélodie de Favennec dans laquelle Daniel joue du soprano). Les images se superposaient: Paboeuf musicien de rock dans la plus pure tradition, la longue pipe d'or lancée en avant, le dos rejeté en arrière à presque toucher le sol pour un effréné « White Light White Heat » en rappel à Nogent, avec Marquis de Sade. Paboeuf religieusement connecté à son instrument magique, musicien de jazz pur (ou de musique instantanée, comme il dit) dialoguant avec Philippe Herpin au festival de jazz du Cap d'Agde. Enfin, Daniel Paboeuf musicien de séance appliqué répétant tranquillement, paisible et précis, ses phrases fluides de saxophone sur fond d'harmonium, sous les plafonds impressionnants du théâtre fastueux de Morlaix. « A vrai dire, je ne peux pas, je ne veux pas choisir », m'avait-il confié, comme pour finir, dans la rue, au moment de regagner le théâtre. « C'est comme ça. Je vis en équilibre-déséquilibre. » Et quelques minutes plus tard, presque au moment de se quitter, alors qu'il m'expliquait comment tout cela avait commencé, il riait : « Moi, normalement, j'aurais dû faire du violon... », a-t-il avoué. « Mon frère a commencé le Conservatoire, et je voulais faire comme lui. Mais j'étais trop vieux. Alors on m'a proposé un instrument, au choix. J'ai mis mon doigt sur « saxophone » dans la liste. Je croyais que c'était la clarinette qui s'appelait comme ça! Voilà… » - BRUNO T.
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