Critique de l'album Lumières et Trahisons
Lumières et trahisons

La couleur de la passion

Il y a parfois des mots trop bavards, qui ont des allures de chèques en blanc. Lorsque Miss Blue Note m'a demandé d'une voix légèrement badine: " A ton avis, de quelle couleur est la passion ? ", j'aurais dû me méfier. D'habitude, elle ne posait jamais de questions. Elle n'aimait pas. Elle préférait le silence. Il n'y avait que son regard de petite fille avide d'emmagasiner les faits et gestes de tout un chacun pour en faire de belles images qui permettait de connaître l'état de sa météorologie intime. On venait d'écouter un disque: Marc Seberg, Lumières et Trahisons. Ambiance bleue. Guitare intense. Parties de piano liquides. Troisième tome de l'aventure de ce groupe rennais qui rassembla une partie des membres du mythique Marquis de Sade après sa dissolution. L'après-midi, Philippe Pascal, le chanteur, et Pascale Le Berre, la pianiste, m'avaient expliqué : "Notre univers s'est élargi, aussi bien au niveau de la composition des morceaux qu'au niveau des textes. Précédemment les paroles étaient très écrites. A la limite, les textes pouvaient tenir debout tout seuls, sans le support de la musique, alors que ceux de Lumières et Trahisons ont été écrits de façon beaucoup plus directe, plus spontanée et souvent pendant l'enregistrement. " Miss Blue Note avait fredonné, la bouche fermée, une phrase de Décembre: "La vie n'a pas eu l'élégance de lui pardonner ses errances. " J'avais apprécié l'émotion de Jeux de lumières: " A contre-jour, tout d'abord, les contours de son corps. " Ce n'étaient pas des déclarations, juste un souffle lyrique et clair. Avec des besoins d'émotion. Et une musique fière. La luminosité a brusquement changé. on aurait dit que le soleil avait mis des lunettes jaunes. Elle a planté ses poings dans ses poches. Et c'est venu, doucement: " A ton avis, de quelle couleur est la passion ?" Vous auriez répondu quoi, vous ? Vert. Rouge. Blanc. Ocre. Vanille. Ou violet. ou... bleu, comme moi... Erreur. j'avais trahi. "La question de la couleur de la passion se résume en une seule ligne: il n'y en a pas. Parce que la passion se consume ". Le lendemain, Miss Blue Note était ailleurs.

YANN PLOUGASTEL

Copyright : L'événement du jeudi, 1987